Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Carine-Laure Desguin, ses romans, nouvelles et poésies
14 juin 2015

Posthume, texte théâtral

JUIN 2015 Monstres 2015 015

JUIN 2015 Monstres 2015 021

                                                       

                                                                            Posthume, texte théâtral

 

Dans une grande et cossue demeure d’Havré, une conversation entre Jeanne-Charlotte et sa mère, madame Charles-Edmond de Pescaille, née Rosemonde de Lespadrille. Jeanne-Charlotte est assise sur un fauteuil style Louis le xième, un Ipod entre les doigts, elle surfe à perdre haleine... Sa mère est allongée sur un divan, des coussins derrière le dos, elle feuillette un magazine de mode. Les deux femmes se parlent sans jamais se regarder, ou presque. Deux caractères aux antipodes l’un de l’autre.

La mère. Jeanne-Charlotte, vous ne désirez quand même pas épouser cet abruti ?

La fille. De qui parlez-vous, mère ?

La mère. Je parle de ce, de ce….

La fille. « Ce » s’appelle Etienne Remugle, mère !

La mère. Ah ! Quel nom ! Je refuse que ma fille porte ce nom ! Et de plus, qui est-il vraiment, on se le demande ! Cet individu n’est rien ! Même pas rentier ! Quelle honte, ma fille ! Comment osez-vous vous afficher avec cet incapable, cet amputé de la vie ?

La fille. Etienne travaille ! C’est un artiste, mère ! Un artiste !

La mère. Un artiste ! Vous plaisantez ! Je nomme « artistes » des gens dont le nom scintille sur une affiche de cinéma, des gens qui grimpent les marches du festival de Cannes, des gens dont les photos font la une dans les magazines. Etre a…rtistes d’une autre façon est impossible à mes yeux ! Impossible ! Les gens dont on ne parle pas ne sont pas des artistes !

La fille. Mère, Etienne n’est pas un acteur de cinéma, Etienne est un écrivain ! Etienne est un être humain qui écrit ! Le travail d’Etienne, c’est écrire ! Etienne est un créateur ! Un créateur de phrases ! Etienne travaille ! Ecrivain, c’est un métier !

La mère. Ah, il serait donc licencié en écriture ? C’est nouveau ça ! Laissez-moi rire ! Ecrire, vous appelez cela «  travailler » ? Il ne fait que balader ses doigts sur un cahier, lorsque la muse de l’inspiration lui souffle des mots et ce n’est pas du matin au soir dans le cas de ce remugle ! Et je ne mets pas de majuscule au r… ! J’oubliais, les recherches dans les bibliothèques, lire les œuvres…des autres, cela prend du temps au temps… Mais qu’il dépose donc sa plume cet incapable, ce fainéant ! Qu’il soit au minimum rentier, ce serait la moindre des choses, lorsqu’on désire épouser l’héritière de l’unique usine de doudous en plâtre de cette planète ! Et si vraiment il écrivait, ce…remugle, il serait édité comme tout le monde chez Gallimard ou Albin Michel ! Mais écrire et ne pas être édité…

La fille. Justement, mère, il cherche !

La mère. Du haut de cette …de cette…..échelle ou je ne sais plus trop quoi, il cherche ?

La fille. Il est bien obligé de se faire remarquer, il faut acter le coup ! Il tente d’attirer l’attention sur la condition des artistes ! Et, par extension du domaine de la lutte, il tente d’attirer l’attention sur tous les artistes ! Tous !

La mère. Ah bon ! Vous devriez dire « par extension du domaine de la hutte », parce que cette cabane transparente, à je ne sais combien de mètres au-dessus du sol, suspendue par le treuil d’une grue…

La fille. Voyez, mère, quel courageux garçon…

La mère. Un écervelé ! A-t-on idée de se suspendre de pareille façon ? Aux dernières nouvelles, il s’asphyxie un peu plus chaque jour ! Hier soir, lors de notre réunion hebdomadaire, au Club Vip, Philippine Lecouvreur s’excitait à raconter ce fait divers et distrayait toutes les joueuses de bridge ! Personne n’a prononcé votre nom mais tout le monde me regardait !  

La fille. Cette mise en scène sur la Grand Place est bien pensée, mère ! Etienne veut que tout le monde sache à quel point les artistes souffrent ! Plus son agonie sera longue, plus les artistes bénéficieront de ce geste fort ! Cette agonie sera le reflet de la souffrance totale de tous les artistes !

La mère (énervée, tournant les pages de son magazine, mais ne lisant rien ou presque). Les artistes souffrent ? Mais de quelle maladie ces bons à rien se plaignent-ils ?

La fille (levant de temps en temps un regard moqueur vers sa mère). L’indifférence ! Le rejet ! La non-reconnaissance !

La mère. La non-reconnaissance ? Décidément ma pauvre fille, vous ne vivez pas sur la même planète que votre père et que moi-même !

La fille. Mère, ne vous vient-il pas à l’esprit que c’est peut-être vous qui ne vivez pas sur la même planète qu’Etienne ….

La mère. Ah ! Parce vous, vous vivez sur la même planète que ce …ce …Et puis, ne me parlez plus de planète, vous m’ennuyez avec tous ces termes barbares ! La non-reconnaissance, voilà encore un terme à dormir dehors ! Au fait, cela lui sied à merveille, ce terme…

La fille.  Je ne comprends pas, mère…

La mère. Un mot à dormir dehors…

La fille.  Votre humour m’embarrasse, mère…C’est de l’humour noir bien mal placé ! On le sait que les artistes dorment dehors. Et justement, nous voulons lui et moi changer les choses !

La mère. Ah ! Encore une manière de laisser le boulot aux autres ! Une fois mort ce sera vous qui devrez acter tout ça…! Dites-moi, il restera longtemps dans cette cage, votre écrivaillon ?

La fille. Tout le temps qu’il lui restera de l’oxygène pour survivre, mère…Toute la planète aura bientôt les yeux braqués sur Etienne…

La mère. Je vous ai demandé de ne plus me parler de planète, cela me désarçonne !

La fille. Nombrilisme, quand tu nous tiens…

La mère. Que dites-vous ? Au fait, vous ne m’avez pas répondu, combien de temps restera-t-il dans cette cage ?

La fille. Mère, je vous ai répondu…Il restera dans cette cage tout le temps qu’il lui restera de l’oxygène pour survivre…

La mère. Ça peut encore durer…Il vient à peine de se suspendre !

La fille. Oui, mère, Etienne peut rester là plusieurs semaines…Le temps d’écrire son roman ! Ou mieux encore, le temps de ne pas l’achever, ce serait le roman inachevé d’un sacrifié…

La mère. Espérons qu’il fasse mouche, ce roman-là !

La fille. Une publication posthume….Il a des chances d’être publié ! La presse internationale est alertée ! Oui, il a des chances d’être publié !

La mère. Vous appelez ça de la chance ? S’asphyxier pour être publié ! C’est interdit par l’église ! En plus !

La fille. Décidément, vous confondez tout, mère !

La mère. Pas du tout ! L’église exclut les suicidés !

La fille. Mère, je vous en prie, vivez dans votre siècle, comprenez-moi, comprenez-le !

La mère. Je n’accepte pas que ma fille unique, la future héritière d’une multinationale, s’affiche avec un va-nu-pieds qui travaille du chapeau en oscillant de la plume et tout cela dans une vieille cabine téléphonique  suspendue à une grue sur la Grand-Place d’une ville qui sera en 2015 une grande capitale ! Tout cela pour obtenir une reconnaissance posthume ! C’est du délire !   

La fille. En 2015, Mons sera la capitale européenne de la Culture…Vous voyez ? Les gens parlent mais ne savent rien !  Ils parlent de Culture et ne respectent pas les créateurs ! C’est d’un non-sens ! Et de plus, Mère, Etienne est généreux, il pense à tous les artistes qui grâce à lui obtiendront un  statut !

La mère. Un statut ! Pourquoi pas une statue ? A l’après d’une lettre ! Ma pauvre Jeanne-Charlotte ! Et …à propos…ce roman qui s’écrit…quel en est le sujet ?

La fille. C’est l’histoire d’un écrivain qui vit très mal sa non-reconnaissance et sa précarité…

La mère. J’aurais dû m’en douter ! Diantre ! Il n’est pas allé chercher trop loin son sujet…

La fille. C’est du vécu, mère ! Il parle de ce qu’il connaît ! Les difficultés au quotidien ! La recherche d’un éditeur…Ces dizaines de manuscrits envoyés, le coût de ces envois…L’attente des retours…Les fameuses lettres de refus…L’argent qu’il n’a pas, lui !

La mère. Et vous croyez que toutes ces bêtises intéresseront un éditeur ? J’hallucine !

La fille. Oui, puisque ce sera le premier roman écrit en live à 50 mètres du sol et que l’édition sera posthume. Etienne sera mort, asphyxié, lorsque le roman sortira dans quelques mois…

La mère. Espérons-le ! Vous me soulagez ! Vous serez veuve !

La fille. Mère, c’est vous qui parlez de mariage. Ni lui ni moi ne désirons nous marier !

La mère. Ah, c’est la meilleure ! Je vous ordonne de vous marier !

La fille. Mère, Etienne et moi ne désirons que la liberté l’un de l’autre !

La mère. Cet abruti vous déshonorera toute votre vie et vous ne voulez pas le marier ? Je ne comprends plus rien ! Vous ne serez même pas la veuve, vous ne serez donc rien du tout et toute la planète dans quelques heures aura les yeux rivés sur vous ! Puisque vous êtes son porte-parole ! Cet écrivaillon a-t-il besoin d’un porte-parole ? Ses mots sont donc si lourds ? Ah !

La fille. Mère, épargnez-moi cet humour macabre…

La mère. Puisque vous vouliez me parler, je pensais qu’il s’agissait de mariage !  Que cette histoire écrite dans une cabine téléphonique n’était qu’une entrée en matière…Mais il s’agit tout simplement d’une cage en verre avec un homme à l’intérieur qui veut s’asphyxier afin d’écrire le roman de sa vie ! De sa mort dirons-nous plus exactement…Dites-moi, Jeanne-Charlotte, ne craignez-vous pas qu’une âme malsaine vienne le sauver, cela ajouterait un peu de suspense…

La fille. Mère, nous sommes au siècle de la télé-réalité ! Voyez quelle aubaine ! Personne ne viendra entraver les volontés d’Etienne !

La mère. C’est d’un ridicule ! Et si votre père payait un imprimeur…Vous savez, un gros chèque bien gras…Les livres de ce Remugle seraient édités, tout simplement !

La fille. Mère, cela dévalorise, cela ne rime à rien…Si l’écrivain n’a pas la reconnaissance d’un éditeur qui a pignon sur rue…

La mère. Ça c’est la meilleure ! Le monde tourne à l’envers ! Je pensais qu’un livre était un livre ! Mais non ! Un livre imprimé ne vaut pas un livre édité ! Et un éditeur qui a pignon sur rue, ça se trouve..dans les airs ! Lorsque votre père rentrera, il sera suffoqué de toute cette histoire…Bref, ils seront deux à mourir asphyxiés ! Du crédit supplémentaire pour le statut des artistes !

La fille (quittant la pièce à vive allure). Voilà, les journalistes affluent ! Les télévisions du monde entier prennent possession de la ville ! Les artistes manifestent ! Bingo ! Je vous laisse à vos non-occupations, mère ! Etienne m’appelle ! Le destin de tous les artistes m’appelle !

La mère. Allez, allez, Jeanne-Charlotte ! N’écoutez pas cette voix d’outre-tombe ! Au fait, les condoléances, vous les entendez de suite ou vous préférez attendre l’édition du livre de ce…Jeanne-Charlotte, Jeanne-Charlotte, je vous parle !

Carine-Laure Desguin

 

 

— Carine-Laure, un recueil collectif ? Belle couverture ! Un titre provocateur ? Tu nous expliques ?

 

— Oh, oui, voici quelques explications. Un concours initié par Le coin aux étoiles https://www.facebook.com/LeCoinAuxEtoiles?fref=ts. Le thème ? Les tristes conditions de vie des artistes. Tout un poème…Le concours a reçu pas mal de succès, beaucoup de participants. Le comité (Florian Houdart, Ombre Louve et Laurent Roman) a sélectionné une quinzaine de textes et c’est le très beau texte de Thierry Ries « Hors les murs » qui s’est détaché largement des autres participations. Un texte fort. Très révélateur du mal-être des acteurs culturels face aux choix de nos politiciens.

 

— La couverture est flamboyante !

 

— Oui, cette couverture est signée Ombre Louve. J’aime beaucoup ces couleurs et ce dragon est irrésistible, non ?

 

— Carine-Laure, il se dit que ce recueil est un recueil de textes pamphlétaires pour dénoncer les absurdités de Mons 2015 ?

 

— Ah, Mons 2015 ne fait pas l’unanimité, c’est certain. Les artistes régionaux qui ont une vitrine pour cet événement culturel se comptent sur les dix doigts, c’est bien triste. Pour ma part, j’ai écrit un texte théâtral, j’ai joué la carte de l’humour. Je n’aime pas trop que la littérature soit prise en otage. Les auteurs ont écrit un texte répondant à la consigne de départ : les tristes conditions de la vie des artistes. Il n’était nullement question d’écrire un pamphlet contre Mons 2015. Je déplore que l’on manipule les auteurs de cette manière, à leur insu. Ce n’est pas honnête, à mon avis. C’est mon coup de gueule et je suis heureuse d’avoir pris le micro hier soir pour donner mon avis.

 

— Mallarmé transpire encore ?

 

— J’aime la création littéraire. Les idées, oui d’accord, mais avec une certaine limite, il faut que le texte reste dans le concept de création littéraire. La littérature ne doit pas être prise en otage, elle est trop belle pour ça. Ces gens qui prennent la littérature en otage n’aiment pas la littérature. On pourrait s’opposer à Mons 2015 en étant plus créatif que ça. D’ailleurs, j’ai le soir même averti ma maison d’édition, Chloé des lys. Voici mon mail :

 

 

 Voici le mail envoyé de ma part aux Editions Chloé des lys: 

 

Bonjour les amis, 

 

 

 

Je suis allée hier à la sortie du recueil Monstre 2015. 

 

 

 

Le thème du concours était: les tristes conditions de la vie des artistes. 

 

 

 

Beaucoup de participants pour ce recueil, des auteurs suisses, français ...Des gens qui ont écrit sur ce thème, les tristes conditions des artistes. 

 

 

 

Hier, c'était la sortie du bouquin, au Coin aux étoiles. La sortie du recueil et un débat qui s'est centralisé (comme annoncé d'ailleurs) sur les inepties de Mons 2015 (que je ne discute pas, c'est une évidence).

 

 

 

Ce que je discute et je l'ai dit ouvertement d'ailleurs, c'est que ces gens du comité (Ombre Louve, Florian Houdart et Laurent Roman) ont manipulé les auteurs et se servent du recueil comme étant des textes pamphlétaires écrits contre Mons 2015. Ce qui est faux, archi-faux, les auteurs pensaient écrire au sujet de la triste vie des artistes. Si ce comité voulait se battre contre Mons 2015, il pouvait le faire d'une façon autonome sans se servir de ce recueil collectif édité par Chloé des Lys. 

 

 

 

 

 

 

 

Où est la littérature dans tout ça? 

 

 

 

Bien sûr qu'à Mons, les auteurs régionaux ont été évincé. Mais alors, il fallait jouer la carte de l'honnêteté et demander aux participants d'écrire un texte had hoc. 

 

Mais se servir des autres de cette façon, c'est fort triste. 

 

 

 

Pour cette raison, j'ai mis sur mon blog mon texte en entier. Et pour cette raison, je n'enverrai pas de matos pour les blogs édités par Chloé des lys, hormis ce coup de gueule qui me soulage énormément.

 

 

 

Belle semaine à tous, 

 

 

 

Carine-Laure 

 

 

 

— Ok, on comprend. Le recueil sera disponible bientôt ?

 

— Oui, il sera disponible sur le site des éditions Chloé des Lys http://www.editionschloedeslys.be/. Et aussi rue Notre-Dame, 79, à Mons. L’occasion de prendre un verre au Coin aux étoiles, dans ce lieu qui se veut alternatif.

 

— Et pour les nouveaux lecteurs de Carine-Laure, voici son press book et autres infos :

 

http://carineldesguin.canalblog.com/pages/press-book/32061526.html

 

http://carineldesguin.canalblog.com/pages/carine-laure-sur-you-tube/32062119.html

 

 

 

 

 

 

 

 

Commentaires
C
Oui Gazou, tu as tout compris. A présent, il n'y aura plus de problème, je pense que tout le monde a bien compris que le livre cerne la condition de vie des artistes et que ce n'est pas un condensé de pamphlets contre Mons 2015.
Répondre
G
C'est toujours assez insupportable de se sentir manipulée!
Répondre
C
Hi hi, tu vois juste, je déteste être manipulée, c'est comme une entrave à ma liberté. Je suppose qu'à l'avenir ce comité fera gaffe...Lancer un concours littéraire est une chose sérieuse, à mon sens. Les textes de ce livre sont bien écrits et ont répondu au thème de départ, la triste condition de la vie des artistes. Détourner ce sujet pour en faire une affaire perso contre Mons 2015, c'est idiot.
Répondre
É
Ton texte est très bien écrit comme toujours. Je vois que cette manipulation t'a bien énervée...
Répondre
C
Bonjour Bernard, je ne pensais pas que ce recueil serait une arme contre Mons 2015. Hors, souviens-toi, j'ai posé la question. Ce recueil est-il une bombe contre Mons 2015? Quelqu'un du comité m'a répondu:"Pas vraiment une bombe, non, plutôt un feu d'artifice".(ou quelque chose comme ça) J'ai aussi demandé où se situait la littérature dans tout ça, puisqu'au départ, c'est ce qui nous réunissait, la littérature. Je n'ai pas eu de réponse, j'ai vu des yeux devant moi qui s'interrogeaient ...Oui, j'ai été naïve, je sais, Bernard...Je voudrais aujourd'hui simplement ôter mon texte de ce livre mais ce sera impossible, la maquette est finalisée, les premiers exemplaires sont sortis. Voilà Bernard, merci pour ton commentaire. Ce que j'aime, c'est la littérature, la créativité. Mais je déteste que mon texte soit récupéré de telle façon. C'est une erreur de ma part de croire à l'intégrité de certaines personnes. Amitié à Thérèse.
Répondre
Archives
Carine-Laure Desguin, ses romans, nouvelles et poésies
Newsletter